Je me suis bien rendu compte que le premier article de ce blog vous a laissés sur votre faim car je n’ai pas répondu à la fameuse question ‘Pourquoi l’Éthiopie ?’, ou seulement d’un revers de la main. Voici donc, pour changer, une histoire vraie. Et pour commencer, je vous dois la vérité : je suis arrivée en Éthiopie par pur hasard (n’en déplaise à mes amis Éthiopiens), mais ce hasard est devenu un choix, que je m’en vais vous expliquer (ouf, l’honneur est sauf !).
Je ne suis finalement rien d’autre qu’une « migrante économique » sauf que je ne compte pas parmi ceux que l’on refoule aux frontières européennes et qui meurent noyés : j’ai quitté l’Europe de mon plein gré et même assez contente de moi en mars 2010 car je ne trouvais pas de travail, plus d’un an après avoir obtenu mes diplômes en droit international et sciences politiques. Je fais partie de cette génération sacrifiée à la crise financière de 2008, crise qui a commencé le jour-même où je me suis retrouvée sur « le marché du travail ». Je me souviens de ce jour, j’étais à New York et mon cousin trader m’a dit en partant au travail : « Aujourd’hui, il va y avoir des mouvements sur les marchés financiers. » Bonne analyse de sa part, car le soir même, en arrivant à Toronto après un éreintant voyage par la route, je ne le savais pas encore mais un monde s’était quasi effondré. Le lendemain, arrivée à Paris, j’ai appris le fameux krach boursier. Je venais de terminer mes vacances, et surtout je venais de terminer mes études. J’étais prête pour le grand saut dans le monde du travail, prête à donner le meilleur de moi-même pour des causes qui en valaient la peine, du moins à mes yeux. J’ai tout de suite compris l’ampleur qu’allait prendre cette crise en Europe, comme si une forme d’instinct me disait « Ça, c’est pas bon pour toi… »
Les mois suivants m’ont malheureusement donné raison : les petits contrats se succédaient, entrecoupés de longues périodes de chômage, et aucun contrat décent ne se présentait, malgré mes journées passées à détailler les sites d’offres d’emploi de mon secteur. Même si « la crise » à proprement parler ne s’était pas encore fait sentir économiquement, elle était déjà entrée subrepticement dans les bureaux de ressources humaines et dans les âmes des employeurs, qui refusaient d’embaucher « en attendant de voir ». Évidemment, à ce rythme-là, ils n’ont pas tardé à la créer eux-mêmes, leur crise. Il ne faut pas être devin pour comprendre que si on arrête tout d’un coup toute activité économique, alors oui on peut appeler ça « la crise ». Encore un bon exemple de prophétie auto-réalisatrice bien connue, qui, malgré des centaines d’années de lutte contre les superstitions, continue à jouer un rôle crucial dans un monde qu’on croyait rompu à la logique cartésienne, à savoir le monde de la finance.
Pour ma part, j’ai longtemps eu l’impression que ma vie avait stoppé net le jour où j’étais partie de New York, le cœur vaillant pour conquérir un monde hostile, comme s’il existait un monde d’avant et un monde d’après-New York. D’ailleurs, en repensant à tout cela, j’aurais dû me douter qu’il allait se passer quelque chose de louche pendant mon séjour là-bas car je m’y étais cassé le pied : mais à l’époque, je n’étais pas aussi superstitieuse que les magnats de la finance…
L’herbe est toujours plus verte ailleurs, et cette période peu faste s’est aussi présentée comme une opportunité pour évoluer. Je savais que mon ailleurs se trouvait quelque part « au Sud », comme je disais par euphémisme à ma grand-mère pour ne pas lui avouer que je partais en Afrique, mais sans trop lui mentir tout de même puisque l’Afrique se trouve au sud de l’Europe, géographiquement parlant. A part « le Sud », je n’avais pas d’idée précise de l’endroit où poser mes valises. C’est alors qu’une amie franco-éthiopienne m’a proposé de l’accompagner dans le pays de ses ancêtres. Elle aussi récemment diplômée, elle aussi dans l’impossibilité de trouver un travail digne de ce nom. Et j’ai accepté. J’allais partir, en octobre 2009, lorsque j’ai reçu un appel de la Commission européenne qui me proposait de participer au stage d’hiver de l’UE : cette opportunité était immanquable. D’abord, le stage était payé, et j’avais plus que jamais besoin d’indépendance financière, qui est le point de départ de toute liberté (j’ai bien appris mes leçons de féministe). De plus le poste était intéressant : il s’agissait d’assister le Directeur général adjoint d’EuropeAid, la direction générale chargée du financement de l’aide au développement. Poste intéressant, donc, dans une institution renommée, que j’aurais enfin l’opportunité de voir de l’intérieur, pour me faire ma propre idée de la bureaucratie à l’européenne, d’ailleurs tant décriée.
J’ai donc posé temporairement mes valises à Bruxelles et j’ai rencontré là le groupe de stagiaires le plus impressionnant qui soit : le stage d’hiver de la Commission européenne, ce sont pas moins de 500 stagiaires provenant des 27 pays de l’UE, répartis dans tous les services de la Commission, et entre lesquels il existe un réel lien de solidarité, grâce aux activités mises en place pour qu’ils se rencontrent : les stagiaires peuvent proposer de donner des cours de leur langue natale, et ainsi prendre des cours d’une autre langue gratuitement. Soirées, concerts, dégustations, rencontres sur la place Lux les jeudis soir participaient à créer une ambiance inoubliable, mais aussi évidemment un sentiment fort d’européanité. Travailler, manger, faire la fête et découvrir la Belgique avec une bande de gais-lurons européens a été un plaisir mais surtout un privilège. Notre petit groupe était composé notamment d’une Finnoise qui n’aimait pas le froid, d’un Anglo-néerlandais né on-ne-savait-où en Asie et fan de cricket devant l’Éternel, d’une Suédo-argentine extravagante, d’un Italo-brésilien toujours heureux, de Slovaques et de Tchèques tous nés en Tchécoslovaquie avant la chute du Mur, d’une Italo-cambodgienne dont le prénom de son père avait été pris par les officiers d’immigration pour son nom de famille, créant ainsi une famille dont le patronyme était en fait le prénom du père, et puis aussi de Français, de Belges, de Britanniques, d’Allemands, d’Autrichiens, de Polonais, et bien d’autres tout bêtement heureux d’être tous réunis dans cette belle ville qu’est Bruxelles.
Notre petit groupe de stagiaires d’EuropeAid a commencé à organiser des dîners chez les uns, chez les autres, l’hôte étant chargé de préparer des spécialités de son pays. Ainsi, nous avons eu des dîners de tous les coins du monde, très différents les uns des autres, mais toujours bien arrosés : pour cela, les Européens savent se mettre d’accord !
Mais je m’égare : à mon arrivée à la Commission, j’ai appris qu’il existait une tradition chez les stagiaires d’EuropeAid, celle d’organiser un voyage d’étude dans un pays en développement pour constater de ses yeux l’utilisation faite des fonds de l’UE en faveur du développement. J’ai immédiatement intégré ce petit groupe de stagiaires ultra-motivés et j’ai proposé l’Éthiopie pour destination. Verdict : destination adoptée ! Ainsi, pendant cinq mois que dura le stage, notre petit groupe d’une vingtaine de stagiaires s’est réuni des dizaines de fois afin d’organiser d’abord la levée de fonds, puis le voyage lui-même en collaboration avec la Délégation de l’UE sur place à Addis Abeba. Chacun a apporté ses compétences, à qui les relations avec l’administration pour demander les autorisations, l’organisation logistique du voyage en Éthiopie, la sélection des projets à visiter, la préparation des gâteaux à vendre, la réalisation des affiches de nos speed-datings, etc. Ces cinq mois ont été un vrai plaisir et ont été parmi les plus actifs de ma vie. Après avoir vendu des dizaines de gâteaux et avoir formé plusieurs couples grâce à nos speed-datings, après les ventes de vin chaud et une soirée d’adieu sur une péniche (la soirée avait été bien nommée : « Bid your stage a bon voyage », merci à Nick Bate pour ce slogan resté dans les annales des stagiaires), notre projet s’est enfin concrétisé et, trois jours après la fin du stage, j’étais dans un avion direction Addis Abeba, avec un vol de retour prévu trois mois plus tard, au lieu des deux semaines que devait durer le voyage d’étude. De toute façon, qu’avais-je de mieux à faire en Europe ?
Débarquée à Addis Abeba, j’ai rejoint les stagiaires au Taïtu Hotel, le plus ancien hôtel d’Addis Abeba, bâti sur les ordres de l’impératrice Taïtu à la fin du XIXe siècle, pour accueillir les visiteurs de plus en plus nombreux qui souhaitaient commercer avec l’Éthiopie, ou simplement créer des relations diplomatiques, après que l’Éthiopie eût gagné le respect des puissances du monde entier en vainquant les Italiens au cours de la bataille d’Adwa en 1896. L’hôtel a une histoire, mais aussi un cachet, une ambiance uniques. La première visite de ma première journée en Éthiopie était l’Union africaine. Pour l’Européenne que je venais de réellement devenir, ce fut tout un symbole. Passer de la capitale européenne à la capitale africaine, une histoire bien différente mais pas mal de similarités finalement, notamment le besoin de paix. Dès le lendemain, nous sommes partis pour une semaine de visite dans le nord, Lalibela et ses églises creusées dans le roc, Gondar et les châteaux des empereurs d’Éthiopie, Bahir Dar et le Lac Tana, qui est la source du Nil Bleu, puis les gorges du Nil. Nous avons visité plusieurs projets de développement financés par l’UE, des projets de réforme agraire et de cartographie des parcelles agricoles en région Amhara, des projets d’activités génératrices de revenus pour les populations les plus vulnérables à Debre Markos, etc. Après deux semaines à vadrouiller dans le pays, il était temps pour le groupe de stagiaires de regagner l’Europe : je me souviens de nos adieux à l’aéroport, j’avais la larme à l’œil mais je savais qu’une nouvelle vie m’attendait. Ainsi, le lendemain, ma conquête commençait… au Lycée français d’Addis Abeba, où je suis devenue institutrice en CM2, pendant trois mois !
Je ne m’attendais pas le moins du monde à ce que ma vie prenne ce chemin, et j’étais sûrement plus étonnée encore que mes élèves… Mais lorsque la date de mon billet de retour s’est rapprochée, après trois mois, mon contrat au Lycée français terminé, alors quelque chose m’a retenue : ce pays me paraissait tellement incompréhensible depuis mon arrivée que je refusai de le quitter sans l’avoir compris.
Une bien jolie résolution que je m’efforce depuis quatre ans de tenir car mon entêtement à comprendre ce peuple et ses habitudes si étonnants n’a jusqu’à présent que peu porté ses fruits. J’ai compris certaines choses, évidemment, dont je vous ferai part dans de prochains billets, mais si l’on considère l’œuvre à accomplir dans sa totalité, je n’en suis alors qu’aux balbutiements. Arrivée, donc, par hasard, mais restée par amour…de l’Éthiopie.
Je ne suis finalement rien d’autre qu’une « migrante économique » sauf que je ne compte pas parmi ceux que l’on refoule aux frontières européennes et qui meurent noyés : j’ai quitté l’Europe de mon plein gré et même assez contente de moi en mars 2010 car je ne trouvais pas de travail, plus d’un an après avoir obtenu mes diplômes en droit international et sciences politiques. Je fais partie de cette génération sacrifiée à la crise financière de 2008, crise qui a commencé le jour-même où je me suis retrouvée sur « le marché du travail ». Je me souviens de ce jour, j’étais à New York et mon cousin trader m’a dit en partant au travail : « Aujourd’hui, il va y avoir des mouvements sur les marchés financiers. » Bonne analyse de sa part, car le soir même, en arrivant à Toronto après un éreintant voyage par la route, je ne le savais pas encore mais un monde s’était quasi effondré. Le lendemain, arrivée à Paris, j’ai appris le fameux krach boursier. Je venais de terminer mes vacances, et surtout je venais de terminer mes études. J’étais prête pour le grand saut dans le monde du travail, prête à donner le meilleur de moi-même pour des causes qui en valaient la peine, du moins à mes yeux. J’ai tout de suite compris l’ampleur qu’allait prendre cette crise en Europe, comme si une forme d’instinct me disait « Ça, c’est pas bon pour toi… »
Les mois suivants m’ont malheureusement donné raison : les petits contrats se succédaient, entrecoupés de longues périodes de chômage, et aucun contrat décent ne se présentait, malgré mes journées passées à détailler les sites d’offres d’emploi de mon secteur. Même si « la crise » à proprement parler ne s’était pas encore fait sentir économiquement, elle était déjà entrée subrepticement dans les bureaux de ressources humaines et dans les âmes des employeurs, qui refusaient d’embaucher « en attendant de voir ». Évidemment, à ce rythme-là, ils n’ont pas tardé à la créer eux-mêmes, leur crise. Il ne faut pas être devin pour comprendre que si on arrête tout d’un coup toute activité économique, alors oui on peut appeler ça « la crise ». Encore un bon exemple de prophétie auto-réalisatrice bien connue, qui, malgré des centaines d’années de lutte contre les superstitions, continue à jouer un rôle crucial dans un monde qu’on croyait rompu à la logique cartésienne, à savoir le monde de la finance.
Pour ma part, j’ai longtemps eu l’impression que ma vie avait stoppé net le jour où j’étais partie de New York, le cœur vaillant pour conquérir un monde hostile, comme s’il existait un monde d’avant et un monde d’après-New York. D’ailleurs, en repensant à tout cela, j’aurais dû me douter qu’il allait se passer quelque chose de louche pendant mon séjour là-bas car je m’y étais cassé le pied : mais à l’époque, je n’étais pas aussi superstitieuse que les magnats de la finance…
L’herbe est toujours plus verte ailleurs, et cette période peu faste s’est aussi présentée comme une opportunité pour évoluer. Je savais que mon ailleurs se trouvait quelque part « au Sud », comme je disais par euphémisme à ma grand-mère pour ne pas lui avouer que je partais en Afrique, mais sans trop lui mentir tout de même puisque l’Afrique se trouve au sud de l’Europe, géographiquement parlant. A part « le Sud », je n’avais pas d’idée précise de l’endroit où poser mes valises. C’est alors qu’une amie franco-éthiopienne m’a proposé de l’accompagner dans le pays de ses ancêtres. Elle aussi récemment diplômée, elle aussi dans l’impossibilité de trouver un travail digne de ce nom. Et j’ai accepté. J’allais partir, en octobre 2009, lorsque j’ai reçu un appel de la Commission européenne qui me proposait de participer au stage d’hiver de l’UE : cette opportunité était immanquable. D’abord, le stage était payé, et j’avais plus que jamais besoin d’indépendance financière, qui est le point de départ de toute liberté (j’ai bien appris mes leçons de féministe). De plus le poste était intéressant : il s’agissait d’assister le Directeur général adjoint d’EuropeAid, la direction générale chargée du financement de l’aide au développement. Poste intéressant, donc, dans une institution renommée, que j’aurais enfin l’opportunité de voir de l’intérieur, pour me faire ma propre idée de la bureaucratie à l’européenne, d’ailleurs tant décriée.
J’ai donc posé temporairement mes valises à Bruxelles et j’ai rencontré là le groupe de stagiaires le plus impressionnant qui soit : le stage d’hiver de la Commission européenne, ce sont pas moins de 500 stagiaires provenant des 27 pays de l’UE, répartis dans tous les services de la Commission, et entre lesquels il existe un réel lien de solidarité, grâce aux activités mises en place pour qu’ils se rencontrent : les stagiaires peuvent proposer de donner des cours de leur langue natale, et ainsi prendre des cours d’une autre langue gratuitement. Soirées, concerts, dégustations, rencontres sur la place Lux les jeudis soir participaient à créer une ambiance inoubliable, mais aussi évidemment un sentiment fort d’européanité. Travailler, manger, faire la fête et découvrir la Belgique avec une bande de gais-lurons européens a été un plaisir mais surtout un privilège. Notre petit groupe était composé notamment d’une Finnoise qui n’aimait pas le froid, d’un Anglo-néerlandais né on-ne-savait-où en Asie et fan de cricket devant l’Éternel, d’une Suédo-argentine extravagante, d’un Italo-brésilien toujours heureux, de Slovaques et de Tchèques tous nés en Tchécoslovaquie avant la chute du Mur, d’une Italo-cambodgienne dont le prénom de son père avait été pris par les officiers d’immigration pour son nom de famille, créant ainsi une famille dont le patronyme était en fait le prénom du père, et puis aussi de Français, de Belges, de Britanniques, d’Allemands, d’Autrichiens, de Polonais, et bien d’autres tout bêtement heureux d’être tous réunis dans cette belle ville qu’est Bruxelles.
Notre petit groupe de stagiaires d’EuropeAid a commencé à organiser des dîners chez les uns, chez les autres, l’hôte étant chargé de préparer des spécialités de son pays. Ainsi, nous avons eu des dîners de tous les coins du monde, très différents les uns des autres, mais toujours bien arrosés : pour cela, les Européens savent se mettre d’accord !
Mais je m’égare : à mon arrivée à la Commission, j’ai appris qu’il existait une tradition chez les stagiaires d’EuropeAid, celle d’organiser un voyage d’étude dans un pays en développement pour constater de ses yeux l’utilisation faite des fonds de l’UE en faveur du développement. J’ai immédiatement intégré ce petit groupe de stagiaires ultra-motivés et j’ai proposé l’Éthiopie pour destination. Verdict : destination adoptée ! Ainsi, pendant cinq mois que dura le stage, notre petit groupe d’une vingtaine de stagiaires s’est réuni des dizaines de fois afin d’organiser d’abord la levée de fonds, puis le voyage lui-même en collaboration avec la Délégation de l’UE sur place à Addis Abeba. Chacun a apporté ses compétences, à qui les relations avec l’administration pour demander les autorisations, l’organisation logistique du voyage en Éthiopie, la sélection des projets à visiter, la préparation des gâteaux à vendre, la réalisation des affiches de nos speed-datings, etc. Ces cinq mois ont été un vrai plaisir et ont été parmi les plus actifs de ma vie. Après avoir vendu des dizaines de gâteaux et avoir formé plusieurs couples grâce à nos speed-datings, après les ventes de vin chaud et une soirée d’adieu sur une péniche (la soirée avait été bien nommée : « Bid your stage a bon voyage », merci à Nick Bate pour ce slogan resté dans les annales des stagiaires), notre projet s’est enfin concrétisé et, trois jours après la fin du stage, j’étais dans un avion direction Addis Abeba, avec un vol de retour prévu trois mois plus tard, au lieu des deux semaines que devait durer le voyage d’étude. De toute façon, qu’avais-je de mieux à faire en Europe ?
Débarquée à Addis Abeba, j’ai rejoint les stagiaires au Taïtu Hotel, le plus ancien hôtel d’Addis Abeba, bâti sur les ordres de l’impératrice Taïtu à la fin du XIXe siècle, pour accueillir les visiteurs de plus en plus nombreux qui souhaitaient commercer avec l’Éthiopie, ou simplement créer des relations diplomatiques, après que l’Éthiopie eût gagné le respect des puissances du monde entier en vainquant les Italiens au cours de la bataille d’Adwa en 1896. L’hôtel a une histoire, mais aussi un cachet, une ambiance uniques. La première visite de ma première journée en Éthiopie était l’Union africaine. Pour l’Européenne que je venais de réellement devenir, ce fut tout un symbole. Passer de la capitale européenne à la capitale africaine, une histoire bien différente mais pas mal de similarités finalement, notamment le besoin de paix. Dès le lendemain, nous sommes partis pour une semaine de visite dans le nord, Lalibela et ses églises creusées dans le roc, Gondar et les châteaux des empereurs d’Éthiopie, Bahir Dar et le Lac Tana, qui est la source du Nil Bleu, puis les gorges du Nil. Nous avons visité plusieurs projets de développement financés par l’UE, des projets de réforme agraire et de cartographie des parcelles agricoles en région Amhara, des projets d’activités génératrices de revenus pour les populations les plus vulnérables à Debre Markos, etc. Après deux semaines à vadrouiller dans le pays, il était temps pour le groupe de stagiaires de regagner l’Europe : je me souviens de nos adieux à l’aéroport, j’avais la larme à l’œil mais je savais qu’une nouvelle vie m’attendait. Ainsi, le lendemain, ma conquête commençait… au Lycée français d’Addis Abeba, où je suis devenue institutrice en CM2, pendant trois mois !
Je ne m’attendais pas le moins du monde à ce que ma vie prenne ce chemin, et j’étais sûrement plus étonnée encore que mes élèves… Mais lorsque la date de mon billet de retour s’est rapprochée, après trois mois, mon contrat au Lycée français terminé, alors quelque chose m’a retenue : ce pays me paraissait tellement incompréhensible depuis mon arrivée que je refusai de le quitter sans l’avoir compris.
Une bien jolie résolution que je m’efforce depuis quatre ans de tenir car mon entêtement à comprendre ce peuple et ses habitudes si étonnants n’a jusqu’à présent que peu porté ses fruits. J’ai compris certaines choses, évidemment, dont je vous ferai part dans de prochains billets, mais si l’on considère l’œuvre à accomplir dans sa totalité, je n’en suis alors qu’aux balbutiements. Arrivée, donc, par hasard, mais restée par amour…de l’Éthiopie.