Vous vous rendrez compte au fil des articles qui suivront à quel point l’Ethiopie est un pays étonnant, surprenant et envoûtant. Mais la chose la plus surprenante à son propos est sûrement la gestion du temps, son découpage. Vous vous dites sûrement : « bah quoi ? les Ethiopiens sont toujours en retard ? Et après ? » La réponse est évidemment…oui ! Mais à cela se rajoutent d’autres circonstances, bien particulières.
Dès les premiers jours, j’ai remarqué une chose étonnante : la plupart des horloges et pendules, dans les minibus, dans les administrations, dans les cafés, me semblaient détraquées, ne montrant jamais la bonne heure. Je commençais à trouver les Ethiopiens négligents… Un jour, j’ai pris un rendez-vous au téléphone avec un ami de mon amie franco-éthiopienne. Il voulait que l’on se retrouve le lendemain pour boire un café en discutant d’opportunités de travail. Rendez-vous fixé à « trois heures ». Je pensais donc avoir ma matinée libre, lorsque, vers 9h30 le matin, le fameux ami m’appelle pour me demander si j’allais bientôt arriver. Surprise, je lui réponds que je pensais que nous avions rendez-vous l’après-midi à 15h. C’est là qu’il a compris ! Il avait utilisé, instinctivement, le système horaire éthiopien, sans penser que je ne le connaissais pas encore.
Explication : la journée éthiopienne commence, assez logiquement, à 6h du matin. Ainsi, lorsqu’il est 6h du matin pour moi, il est en fait 0h00 en heure éthiopienne ! Vous comprendrez donc facilement qu’à midi, il est 6h en heure éthiopienne, et à 18h, il est 12h en heure éthiopienne ! A partir de 18h (ou de 12h, donc), on recommence à zéro. Mon rendez-vous de « trois heures » était donc à 9h du matin, c’est-à-dire trois heures après le début de la journée, qui est à 6h ! Il y a donc 6h de différence entre notre système horaire international et le système horaire éthiopien !
Bizarre, me direz-vous ! Eh bien, pour ma part, je trouve ce système logique, car il découpe la journée en deux tranches de 12h, l’une pour le jour et l’autre pour la nuit. Il faut dire que, comme l’Ethiopie est située près de l’Équateur, les journées ont une longueur quasi-identique tout au long de l’année, ainsi le soleil se couche toujours en 18h et 19h, selon le mois de l’année, ou plutôt entre 12h et 1h du soir, pour parler en heure éthiopienne !
J’ai donc appris, depuis ce rendez-vous raté, à toujours demander à mes interlocuteurs éthiopiens s’ils parlent en « temps éthiopien » ou en « temps étranger », comme on dit ici !
Vous devez vous dire que ce système horaire constitue une particularité étonnante dans un pays aussi peu connu, et vous devez être heureux d’avoir appris cela, ce qui vous permettra de briller en société. Hola ! Attendez ! Quand y’en a plus, y’en a encore !
L’Ethiopie possède aussi, outre son propre système horaire, son propre calendrier ! Et c’est là que ça devient intéressant. Le calendrier éthiopien se rapproche en fait du calendrier qui était utilisé en Europe avant le passage au calendrier grégorien, au milieu du Moyen-âge. Dans ce calendrier éthiopien, on compte, tenez-vous bien, treize mois ! D’où le fameux slogan touristique de l’Ethiopie : « Treize mois de soleil », qui s’avère être une tromperie éhontée ! Nous avons, au mieux, huit mois de soleil dans l’année. Je vous accorde que c’est assez, mais les quatre (ou cinq) mois restants s’écoulent lentement, au rythme des trombes d’eau quotidiennes qui inondent les rues et déforment la chaussée. Revenons-en à nos moutons, ou plutôt à notre année de treize mois. Vous imaginez sûrement qu’il s’agit de treize mois de longueur plus ou moins égale d’environ 28 jours : eh bien non ! Il s’agit de douze mois de trente jours, et…d’un mois de cinq ou six jours. Ces treize mois ont aussi de très jolis noms, qui leur sont propres, et dont voici la liste :
Meskerem, Tekemt, Hedar, Tahesas, Ter, Yekatit, Megabit, Myiazyia, Genbot, Sané, Hamlé, Nahasé, et enfin le mois très court de Pagumen.
Là, vous vous dites que c’est un peu fort : il existe un pays de près de 100 millions d’habitants où les gens vivent selon un calendrier totalement différent, et vous n’en aviez quasi-aucune idée ! Voilà un autre moyen de briller en société, que dis-je « briller », non : « éblouir » ! Eh bien, vous allez être servis, et votre auditoire sera médusé, lorsque vous leur annoncerez que le Nouvel An est fêté…le 11 septembre !
Je vous sens, lecteurs, au bord de l’évanouissement devant ces nouvelles tout aussi étonnantes qu’incroyables ! Eh bien, ce n’est pas terminé : en effet, en quelle année croyez-vous que nous soyons, en Ethiopie ? 2013 ? Ah, la bonne blague ! Vous n’avez donc pas encore compris que les Ethiopiens ne font absolument rien comme les autres ? Naïfs que vous êtes ! Non, bien entendu, ici, d’Axoum à Konso, d’Harar à Gambella, nous sommes en 2006 ! L’Ethiopie est donc seulement 7 à 8 ans « en arrière », n’en déplaise à certains pessimistes qui disent qu’elle a des siècles de retard…
Il faut bien sûr rappeler que, dans beaucoup de domaines (entreprises, banques, etc.), les deux calendriers sont utilisés, en précisant à côté de la date « E.C. » pour Ethiopian Calendar, ou « G.C. » pour Gregorian Calendar. Et tous les Ethiopiens connaissent les deux calendriers et jonglent constamment entre l’un et l’autre.
Ainsi, jour où j’écris cet article, nous sommes le 7 novembre 2013, il est 19h30. En Ethiopie, nous sommes donc le 28 Tekemt 2006 et il est 1h30 du soir. Le meilleur moyen de s’assurer de la bonne date, c’est d’aller à la banque, dans n’importe quelle banque, où la date est systématiquement indiquée dans les deux calendriers.
L’avantage de ces deux calendriers, décalés, est bien sûr d’avoir deux fois plus de fêtes chaque année : nous fêtons donc deux fois le Nouvel An, deux fois Noël (Ghena, le Noël éthiopien a lieu deux semaines après le nôtre), deux fois l’Epiphanie (même décalage), deux fois Pâques (de 2 à 5 semaines après le nôtre, en fonction de la date du début du Carême, qui dure ici 55 jours), etc. De plus, l’Ethiopie s’est dotée, bien opportunément, de toutes sortes de fêtes et jours fériés réjouissants, tels que la fête du drapeau (journée où l’on célèbre le drapeau national), Buhé (journée où les petits garçons vont chanter dans la rue pour les passants et ainsi récolter de petits pains ronds, les mulmul), ou encore la fête de Meskel ou fête de la croix, qui est une fête impressionnante (et qui fera l’objet d’un article ultérieurement).
Avec toutes ces informations, vous n’allez pas simplement briller en société, ni même éblouir votre auditoire, vous allez tout simplement…les clouer sur place !